Notre site est quotidiennement visité par de nombreux lecteurs africains, qui n’hésitent pas à nous contacter pour nous faire part de leur volonté d’évoluer un jour dans un club européen.

Parmi ces nombreux témoignages, nous avons reçu celui d’un jeune béninois de 19 ans, Chaddad Daouda.

Après plusieurs échanges de mails sur son histoire tragique, nous avons décidé de publier son témoignage. Parce que son histoire est touchante, émouvante, mais surtout car tout au long de nos conversations, Chaddad n’avait pas envie de faire pleurer les lecteurs. Juste de temoigner. Mais également, parce qu’il a reporté son rêve de devenir un jour joueur professionnel sur les épaules de son petit frère.

Je me prénomme Daouda Chaddad et j’ai 19 ans. Je suis béninois, ma ville natale est Parakou (ndlr : Parakou est la plus grande ville du nord du Bénin. Sa population est estimé à environ 200 000 habitants) et je vais vous raconter mon histoire.

La passion du football

Comme beaucoup de footballeurs, c’est mon père, grand fan de football, qui m’a transmis sa passion. Dès l’âge de cinq ans, je jouais déjà au football dans les rues de mon quartier de Parakou. Je jouais au poste d’attaquant de pointe, et en observant les grands, j’ai pu progresser au point de devenir l’un des meilleurs joueurs de mon quartier à l’âge de huit ans.

Ainsi, j’ai formé une équipe de huit joueurs avec mes amis de Parakou. Alors que le football était déjà ma vie, il n’était qu’une activité secondaire pour mes amis. Pour les motiver à s’investir réellement dans le football, j’avais l’habitude de piquer des stylos, des crayons ou encore des feutres dans l’armoire de mon père, qui servaient à récompenser mes coéquipiers. La majorité de mes amis étaient plus pauvres que moi, et nous avions donc l’habitude de partager nos repas.

Après plusieurs mois d’entraînement et de sacrifices, nous avons réussi à former une équipe compétitive que nous avons choisi de nommer Borrarous-Villa, en hommage à mon quartier Borrarou. Nous n’avions pas d’entraîneur, donc nous nous prenions nous même en charge. Nous avions l’habitude de prendre part à des tournois organisés par les grands, et notre plus grand souvenir sportif fut notre victoire obtenue lors d’un tournoi disputé en juillet 2000 alors que je n’avais que huit ans. Nous avions remporté six mille francs CFA soit l’équivalent de dix euros.

Chaque tournoi était un spectacle, et malgré les mauvaises conditions de jeu, les adultes avaient l’habitude de venir nous observer. Malgré notre jeune âge, le football était devenu notre vie, et notre seul rêve était de devenir des joueurs professionnels. Semaine après semaine et jour après jour, nous sentions que nous progressions et devenions respectés dans notre ville de Parakou. Nous étions même devenus des symboles pour nos petits frères, comme nous quand nous observions nos aînés.

Je marquais de nombreux buts, et je ne pensais plus qu’au football. C’est grâce au football de rue que je suis devenu l’un des plus grands espoirs de Parakou. Et c’est assez logiquement que le plus grand club de la ville a contacté ma famille pour que je le rejoigne. Mais mon père ne souhaitait pas que je signe avec ce club. Son seul désir était que je continue à étudier et que j’obtienne mon CEP. Je me suis donc accroché à mon rêve, en travaillant dur à l’école pour réussir à décrocher mon CEP, qui était pour moi synonyme de rejoindre mon nouveau club.

Après avoir travaillé dur, j’ai réussi à obtenir mon diplôme, et comme prévu mon père a accepté de m’inscrire dans mon nouveau club. Cela signifiait pour moi que j’allais arrêté de faire seulement des tournois de rue, mais que j’allais pouvoir participer à de vraies compétitions de football.

La blessure

Malheureusement pour moi, mon premier match officiel fut également le dernier. Je me souviens très bien de ces moments qui resteront à jamais graver dans ma mémoire, tant ils ont changés le cours de ma vie.
Après l’échauffement, l’entraîneur m’a lancé dans le match. Au bout de seulement cinq petites minutes de jeu, un coéquipier m’a décalé le ballon, j’ai effectué un contrôle, dribblé avec finesse deux défenseurs, et je me suis retrouvé seul face au gardien. J’ai tenté de le dribbler pour inscrire un but, mais celui-ci m’a violemment fauché et je suis retombé sur le genou, tout cela devant les yeux de mon père, qui ne voulait pas rater mon premier match.

Devant l’importance de la blessure, c’est mon père qui m’a amené à l’hôpital public pour me soigner, ma première opération a eu lieu le 15 septembre 2003. Mais après deux jours, mon genou était totalement infecté. Je n’avais que onze ans, et je souffrais terriblement. Mon père m’a donc conduit dans une clinique privé pour que je me fasse opérer une nouvelle fois. J’ai été opéré sans anesthésie, et le docteur m’a enlevé les deux fers que j’avais dans le genou et qui permettrait de stabiliser ma rotule.

Le club m’a totalement abandonné et pendant ce temps la je continuais à souffrir le martyr. Les médecins ont ainsi annoncé à mon père que vu l’état de mon genou, il allait falloir envisager une amputation car mon genou était beaucoup trop infecté. Ils craignaient pour ma vie.

Une nouvelle vie

C’est à ce moment là que le patron de mon père (qui est chauffeur), un missionnaire laïque qui collabore en Afrique depuis plusieurs semaines a décidé de prendre les choses en main. En 2004, lui et son ONG Gruppo Missionario Merano se sont occupés de moi et m’ont fait venir en Italie pour que je puisse me faire opérer. Comme je n’étais encore qu’un adolescent, il n’était pas possible de m’opérer immédiatement, parce qu’il fallait que je poursuive ma croissance. En attendant, je suis resté en Italie, et j’ai pu obtenir mon BEPC. En juin 2006, j’ai été une nouvelle fois opéré, sans succès.

Quelques mois plus tard, en raison de complications administratives, je n’ai pas pu rester sur le territoire italien, et j’ai donc du retourner dans mon pays natal, le Bénin. J’ai passé des moments horribles, parce que je me remémorais tous ces moments passés à jour au football dans les rues de mon quartier.

Finalement, le 23 novembre 2010, je suis revenu en Italie et j’habite actuellement à Padoue avec la fille du patron de mon père qui est devenue ma tutrice. J’ai une nouvelle fois été opéré de mon genou le 18 février 2011 à Vicenza. Pour le moment, j’ai des fiches externes, que je vais devoir garder pendant neuf mois, le temps que mon genou puisse se consolider.

Je garde toutefois les séquelles de mes deux premières opérations au Bénin, ma jambe droite étant gravement endommagé, je ne peux pas plier le genou droit, et ma jambe droite est plus courte que la gauche.
Même si je ne peux pas plier mon genou, je sais tout ce que je dois à cet homme et son ONG. Aujourd’hui, je poursuis encore les soins, et j’espère avoir une vie normale.